Spécial 2017 Un besoin de présence sur le terrain
Prises de rendez-vous sur internet, services qui se concentrent et s’éloignent. En ces temps de crise, les agriculteurs réclament aussi de pouvoir rencontrer, en chair et en os, leurs partenaires.Par Marie-Gabrielle Miossec, Corinne Le Gall, Alain Cardinaux et Tanguy Delhin.
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Être efficace. Désormais, la plupart des partenaires de l’agriculture mettent en avant ce leitmotiv : on prend rendez-vous sur Internet. On y trouve aussi toute la documentation nécessaire, les conseils y sont détaillés. Mais essayez de chercher une véritable adresse autre qu’un e-mail ou, plus dur, de dégoter un numéro de téléphone qui vous mettra en relation avec un conseiller clairement identifié ! Cela relève de plus en plus de l’exploit ! Pourtant, même les nouveaux réseaux de vente, comme « La ruche qui dit oui !», le disent : de temps en temps, il faut une véritable rencontre pour que cela marche (voir encadré ci-dessous).
La MSA est comme tous les services publics, en phase de réorganisation. Et devra, entre 2016 et 2020, se séparer à nouveau de 1 300 salariés après une saignée de 1 450 postes entre 2011 et 2015. « Pas de crainte pour les usagers », dit-elle par la voix de son président. « La MSA aura toujours la même présence de bureaux sur les territoires. Seuls les services administratifs vont concentrer leurs compétences. » Mais, nous écrivait un agriculteur de Gironde, par ailleurs maire de sa commune, suite à notre article « A la Une » sur le suicide (La France agricole n° 3665 du 21 octobre), « les heures d’ouverture des bureaux de la MSA se réduisent Il faut un rendez-vous pour rencontrer âme qui vive. »
Efficacité du travail du personnel, répond le président de la MSA, « Quand vous arrivez, l’agent qui vous reçoit, a préparé votre dossier. Il est prêt à le traiter. » Seulement « ne pourrait-on pas au moins avoir un contact direct possible de temps en temps à des heures d’ouverture libres », insiste cet agriculteur, qui souligne qu’en ces temps de difficulté « certains agriculteurs auraient besoin d’un peu d’écoute spontanée. Un numéro vert ne suffit pas à combler le sentiment de solitude qui s’empare de certains agriculteurs. » Et cet agriculteur de réclamer « qu’on ait, quelquefois, la possibilité de parler à un conseiller y compris à la banque, chez les assureurs. On ne voit plus personne. On veut des conseillers en chair et en os, pas uniquement des écrans. »
Rencontres entre pairs
Les agriculteurs ne sont pas en reste dans cette volonté de renouveler les contacts. Les groupes de développement, en particulier dans le Nord-Pas-de-Calais, mais aussi le Morbihan, ont organisé des rencontres casse-croûte : « Avec une discussion autour d’un sujet technique, nous voulions apporter en plus un soutien moral. Cela s’est bien passé mais nous n’avons pas touché autant de personnes que nous voulions », regrette le président des groupes de développement du Nord-Pas-de-Calais, Étienne Perin.
Manque de stations- service rurales
Cette complainte du manque de contact, s’étend à tous les services en milieu rural qui parfois s’éloignent malgré eux. Les stations-service rurales en sont une illustration. Après la Fédération nationale de l’artisanat automobile (FNAA) et l’Association des maires ruraux de France (AMRF), c’est au tour des pétroliers et raffineurs de tirer la sonnette d’alarme sur la disparition progressive des stations-service rurales.
Lors de la conférence annuelle de l’Ufip (Union française des industries pétrolières) le 10 mars 2016, son président, Francis Duseux, a tenu à rappeler que le maintien de la distribution de carburant et de fioul en zone rurale est une priorité. Selon ses statistiques, le nombre de stations-service est en baisse continue depuis 35 ans. Avec une importante disparité entre GMS et réseaux traditionnels. Alors que les pétroliers et les indépendants ont perdu 126 stations-service, dont la majorité en zone rurale, les grandes surfaces en ont ouvert 41, essentiellement en secteur périurbain. Selon la FNAA, 1 300 détaillants de vente de carburant sont menacés de fermeture dans les années à venir. Pourtant, la densité de stations-service en France est déjà la plus faible d’Europe, avec 2,5 points de vente pour 100 km², contre 3,1 en moyenne dans l’Union européenne et 4,3 en Allemagne. La situation est déjà difficile dans certaines régions rurales puisque la FNAA a recensé sept départements dans lesquels 20 à 38 minutes de trajet sont nécessaires pour trouver une station-service, et 31 autres départements où il faut compter entre 15 et 20 minutes pour s’approvisionner en carburant.
Les vétérinaires ruraux se comptent aussi selon Jacques Guérin, président du Conseil national de l’ordre des vétérinaires qui vient de sortir le premier Atlas démographique de la population vétérinaire. Et le maillage du territoire est un sujet d’actualité : « Dans cinq ans il sera trop tard. »
Le nombre de vétérinaires diplômés inscrits à l’Ordre a augmenté de 300 en 2015. Mais celui des praticiens en milieu rural a diminué : 22,8 % des vétérinaires pratiquent de manière exclusive ou prédominante la médecine et la chirurgie des animaux de rente (élevage), soit 3,2 % de moins qu’il y a cinq ans. A contrario, ils sont 68,9 % à exercer de manière exclusive ou prédominante la médecine et la chirurgie des animaux de compagnie.
Des vétérinaires en proximité
Jacques Guérin analyse : « Le vétérinaire, qui fait 80 % de canine, risque de perdre ses compétences sur les animaux de rente. » Le Conseil national de l’ordre des vétérinaires identifie aussi un risque dans les zones où la densité d’élevages est la plus faible, où suivant les spécialités, il y a 2 300 vétérinaires ayant des compétences en élevage bovin allaitant, et autant pour l’élevage laitier. Ce chiffre tombe à moins de 200 pour l’élevage porcin et la production avicole. « C’est historique, les vétérinaires se sont positionnés d’abord et avant tout sur les grands ruminants, lance Jacques Guérin. C’est une production qui nécessite de la proximité pour répondre à l’urgence. »
Mais c’est aussi de la responsabilité de chacun d’entretenir les artisans qui restent en zone rurale. La crise de l’agriculture impacte les ateliers de réparation et les concessions. Il y a la baisse des commandes de 20 % mais aussi les difficultés de trésorerie liées à l’augmentation du délai de paiement de leurs factures, selon Raphaël Lucchesi, président du Sedima : « Pour le gros matériel, c’est la banque qui finance et nous sommes payés sans délai. Mais pour les factures d’atelier, de pièces et de petits équipements, on dérape complètement. »
Internet ne répare pas le tracteur
Le Sedima estime que le paiement des prestations de service atteint, voire dépasse, 90 jours. « Cependant,, il est impensable de ne pas dépanner un éleveur qui a un problème sur sa salle de traite, même s’il a déjà plusieurs factures en souffrance. » Des prêts parfois à taux zéro sont proposés pour éponger ces retards. Mais Jean-Paul Breton, lui-même concessionnaire en Lorraine et membre du Sedima, rappelle que les efforts et la compréhension des uns appellent une réciprocité : « Il est difficile pour nous de continuer à dépanner un agriculteur sans être payé, alors qu’il va se fournir sur internet dès qu’il a besoin d’une petite pièce ou d’un consommable. La pièce est un élément de rémunération important pour la concession. Le soutien doit être réciproque. Sinon le service de proximité va disparaître. Et il faudra faire 40 km pour trouver une concession. Ce n’est pas Internet qui va venir vous dépanner à 23 h pendant la moisson ! », souligne-t-il.
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